Marie France fait son BB
Toujours assoiffée d’aventures
Elle revient sur le devant de la scène avec un nouvel album sur lequel elle reprend Brigitte Bardot. Quand on évoque Marie France, on a trop souvent coutume d’utiliser les termes “muse” et “égérie”. Comme si elle n’était pas avant tout une artiste, une créatrice, plutôt qu’une créature, un pléonasme de féminité, qui a su traverser les époques sans perdre une once de sa fraîcheur.
Marie France Garcia est née à Oran en 1946, dans une Algérie encore française, et dans un décor qui ne lui va pas. Différente et assoiffée de paillettes, elle a tôt fait d’émigrer dans un Paris bruissant de contre-culture, dansant sur les cendres tièdes de mai 68.
Aventurière effrontée, elle est partout, à la Coupole avec la bande du même nom (André Téchiné, Jean-Pierre Kalfon, puis Jacques Higelin, Sapho…), et à l’Alcazar où, dès 1969, elle personnifie, ou plutôt elle “incarne” une Marylin Monroe plus vraie que nature. La nuit sous les projecteurs du cabaret le plus vivifiant de la nuit parisienne, le jour sur les barricades avec le FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire, NDLR) et le groupuscule des Gazolines, pour mettre couleur et friponnerie dans les manifestations pour les droits des homosexuels.
Elle ajoute son piquant à des films d’auteurs. À ce jour, elle a participé à une bonne quinzaine, des plus pointus (d’Adolfo Arieta ou de Fernando Arrabal) aux plus popus (“Les keufs” de Josiane Balasko, “La gamine” avec Johnny Hallyday, “Belle-maman” avec Catherine Deneuve), et deux rôles de chanteuse avec Téchiné, dans “Barroco” en 1976 et “Les innocents” en 1987.
Elle joue aussi sur scène, pour la première fois sous la férule de Frédéric Mitterrand, et dans “Navire Night” de Marguerite Duras, qui disait d’elle avec acuité : « C’est impossible de ne pas être troublé par elle. Tout le monde. Les femmes comme les hommes. »
Dans “Barroco”, elle chante “ON SE VOIT SE VOIR” sur une musique de Philippe Sarde. L’année suivante, en 1977, son premier 45 tours est un virage radical, un séisme punk et sexy, deux titres, “DAISY” et “DÉRÉGLÉE” qui sont devenus cultes (une cote à quelques centaines d’euros ces jours-ci). Jay Alanski et Jacques Duvall signent ce méfait.
Entre la rue Mazarine (L’Alcazar) et République (Gibus Club), Marie France est bien une muse, polymorphe. Alain Kan lui dédie une chanson, et elle pose sur une pochette de son groupe punk, Gazoline. Bijou enregistre “MARIE FRANCE” sur son premier album, en 1977, un titre délicieusement pervers.
La chanson en cuir vermillon
C’est justement avec Bijou que Marie France enregistre son album, en 1981. “39° DE FIÈVRE” suscite de l’émoi, avec sa pochette où elle pose en fourreau de cuir vermillon adossée à une DS Citroën phallique.
Elle y reprend en français des classiques du rock’n’roll (“FEVER”…) et crée des originaux à la hauteur. Quelques 45 tours suivront chez RCA, avec Jay Alanski.
Puis il faut attendre 1997 pour un nouvel album, éponyme, sur un label indépendant. Elle y est accompagnée de Yan Péchin, fin guitariste (celui des dernières années d’Alain Bashung), et chante ses propres textes, mais aussi ceux que lui façonnent Duvall, Daniel Darc (un autre ex-Taxi Girl réalise l’album, Mirwais) et Marc Almond.
Durant ce hiatus, elle n’a jamais laissé refroidir les scènes : cabarets, théâtres, récitals, elle “fait le métier”. En 2003, elle publie son autobiographie, “ELLE ÉTAIT UNE FOIS…” (Denoël), puis en 2006, “RARETÉS” une compilation d’inédits, huit chansons très cabarets de Frédéric Botton (réalisées par André Manoukian, pour une comédie musicale qui n’a pas vu le jour), des duos avec Marc Almond, un inédit des Rita Mitsouko...
Elle revient au rock pur et dur, en 2008 avec un album de “PHANTOM FEATURING MARIE FRANCE”, une furie garage rock, infusée dans le punk séminal, où elle retrouve son auteur de prédilection, Jacques Duvall. Puis, insaisissable, elle prête sa voix à Jac Berrocal pour un 45 tours d’avant-garde, “MARIE ANTOINETTE IS NOT DEAD” !
Depuis quelques mois, elle propose un show délicieux où elle reprend à sa façon les chansons de Brigitte Bardot, qu’elle sort en album ces jours-ci, avec une nouvelle pochette somptueuse de ses amis Pierre & Gilles. Loin d’imiter la créatrice mythique de ces chansons signées Serge Gainsbourg ou Jean-Max Rivière, elle les fait siennes, sans maniérisme, avec une sensualité intime révélée par les arrangements très acoustiques de son trio de jazz effervescent, qui l’accompagne aussi sur scène. On y reconnaît des titres immémoriaux, mais aussi des pièces plus rares comme “LES HOMMES ENDORMIS”. Ensuite, elle finira un autre album, plus personnel, avec Duvall et Seb Martel (Camille, M, etc.).
Alors, muse ? Égérie ? Marie France est tout cela, une icône un peu underground qui a traversé intacte les époques, développant tranquillement sa légende, mais surtout une artiste versatile dont la vertu majeure est le charme.
Jean-Éric Perrin
(octobre 2009)
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JEAN-ÉRIC PERRIN (à gauche)
et MARIE FRANCE
(plus deux membres
du groupe BILL BAXTER)
au début des années 80 :
© Pierre-René Worms